L’ordre et la sagesse


Parmi les saillies révélatrices de l’imaginaire politique dans lequel baigne Emmanuel Macron, il faut désormais ajouter sa “forme de sagesse. Elle s’inscrit dans une série de phrases incongrues du président qui le place dans le camp d’un ordre archaïque bien loin de l’image de progressisme start-upeur qu’il souhaite projeter. Deux détails font sursauter, des mots qui égratignent le discours d’ensemble et finissent par lui donner un sens inverse à celui initialement prévu.

Le premier remonte à la fin de l’été dernier, quand nous étions beaucoup à nous féliciter de l'hommage à Maurice Audin. A bien des égards, ce discours, très probablement inspiré par les travaux de l’historienne Sylvie Thénault, est réjouissant; et de la part d’un chef d’Etat français, on ne voit pas bien ce qu’on pourrait attendre de mieux en l’état actuel. A cette occasion, Macron est aussi allé voir la veuve du mathématicien assassiné, Josette Audin, l’Humanité rapporte cette rencontre hautement symbolique :

« Je vous remercie sincèrement », lui dit-elle.
« C’est à moi de vous demander pardon, donc vous ne me dites rien. On restaure un peu de ce qui devait être fait », répond Emmanuel Macron.
« Oui, enfin, je vous remercie quand même ! » lui rétorque Josette Audin d’un air malicieux.
Le président : « Je vois que l’indiscipline continue »…

Dans le même temps qu’il vient réparer une injustice et reconnaître la vérité (selon ses termes appropriés), la moindre affirmation de madame Audin (dans le sens où elle affirme son remerciement, elle n’est pas passive), lui vaut cette remarque équivoque : “l’indiscipline continue”. La remarque, probablement gentille est, en même temps, un rappel à l’ordre (de la part d’un jeune président à une dame militante).

Encore plus curieux (curieux et révélateur s’entend), lors de son discours au Crif cette année (discours par ailleurs plus qu’inquiétant pour d’autres raisons), il glisse un hommage à Marceline Loridan-Ivens. Et que dit-il ? “on se rappelle de son inlassable action pour transmettre la mémoire du génocide, et de son insolence. Alors, certes, quiconque a croisé Marceline Loridan aura reconnu son anticonformisme, sa raillerie des conventions. Mais de l’insolence ? L’insolence on la ressent face à l’anticonformisme lorsque, précisément, on est soi-même conformiste. Si Macron considère Marceline Loridan insolente c’est moins qu’il ait admiré son anticonformisme –sinon il aurait utilisé ce mot- qu’il en a été offensé.

Dans ces deux scènes, ces deux hommage par ailleurs tout à fait louables, Macron fait preuve d’un humour taquin (ces mots ne sont pas dit avec méchanceté, et s’ils montrent son autorité c’est avec une distance à laquelle nous pourrions accorder un humour au deuxième degré). Mais il y a tout de même, dans ce moment précisément sympathique, un rappel à l’ordre (l’indiscipline et l’insolence) qui évoque la “forme de sagesse à laquelle aspire Macron, celle d’une “classe qui se tient sage” selon les mots d’un policier anonyme qui, en définitive, a su mieux que quiconque exprimer la philosophie de son président. 

Black Lines/Itvan Kebadian "Un peuple qui se tient sage"


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