« Argentine soldier known unto God » : le cimetière Darwin et les conflits de récits de la guerre des Malouines
Le 3 octobre 2009, le Monumento a los Caídos [1] était inauguré dans le cimetière Darwin sur l’île Soledad, située dans l’archipel des Malouines, territoire britannique de l’Atlantique Sud. La cérémonie d’inauguration a principalement consisté en un acte religieux, avec la réception d’une copie de la Vierge de Luján, sainte patronne de l’Argentine. La plupart des personnes présentes étaient des parents de combattants argentins morts durant la guerre des Malouines de 1982, quelques vétérans et le personnel religieux menant la cérémonie. Le nombre important de personnes désireuses de participer à cette inauguration et la difficulté de les transporter depuis le continent obligea à effectuer deux voyages, si bien que la cérémonie fut reproduite la semaine suivante [2].
Le monument se compose de deux murs de vingt-six mètres sur lesquels sont apposés vingt-quatre plaques de marbre noir où sont gravés les noms des six cent quarante-neuf Argentins officiellement morts durant la guerre contre la Grande-Bretagne. Ces plaques convergent sur une croix blanche de trois mètres de haut, au bas de laquelle se trouve la niche de la Vierge. Sur l’un des murs, une plaque porte l’inscription « Le peuple de la Nation Argentine en mémoire des soldats tombés en action en 1982 » [3]. Cependant, l’érection du monument s’est accompagnée d’une rénovation totale du cimetière, si bien que le monument se confond avec le nouveau cimetière, construit entre 2002 et 2004, en lieu et place de l’ancien. Ce dernier avait été fondé par les Britanniques en 1983, environ six mois après la fin de la guerre. Il était composé de deux cent trente-sept croix de cèdre peintes en blanc et d’une plus grande croix, l’ensemble entouré d’une mince clôture, également en cèdre. Toutes ces croix ont été remplacées par de plus massives en lapacho [4], avec des plaques en marbre noir et la clôture entièrement refaite. Le nouvel ensemble est bien plus massif et martial que l’ancien cimetière, vétuste, abîmé par les intempéries.
L’histoire de ce petit cimetière aux confins du monde habité et de sa rénovation vingt ans plus tard est celle de plusieurs conflits. Le premier d’entre eux est bien sûr la guerre des Malouines qui opposa l’Argentine et la Grande-Bretagne entre avril et juin 1982. Les relations tendues entre les deux États [5] expliquent la construction du premier cimetière des Argentins morts sur les îles, puis conditionnent en partie le traitement particulier qu’il a reçu jusqu’à son récent classement comme monument historique par l’État argentin [6]. Cependant, nous nous intéresserons moins ici aux relations entre les deux nations qu’aux conflits internes à la société argentine qui expliquent son aspect actuel. La guerre des Malouines a donné naissance à de nombreuses organisations de vétérans et de parents de défunts [7], dont certaines se sont affrontées sur le sens à donner à la guerre et la place qu’elle devrait occuper dans la société et l’histoire argentines. Le cimetière est l’un des lieux sur lesquels s’est focalisée cette bataille de récits, si bien que suivre l’histoire du Cemeterio Darwin, depuis 1982 jusqu’à l’inauguration de son monument en 2009, est une manière d’aborder la place qu’occupent les Malouines dans la mémoire argentine.
Le cimetière, tel qu’il est reconstruit, propose un récit militaire et catholique de la guerre, de ses combattants et de la nation argentine. Ce récit s’est imposé au détriment de versions contestataires de la guerre qui en nient le caractère héroïque et dénoncent les officiers qui l’ont conduite. Saisir comment cette représentation s’est inscrite dans le marbre du monument comme dans celui de la loi permet de comprendre deux grands ressorts de l’histoire récente de l’Argentine. Ce cimetière illustre en effet le traitement de la mémoire de la guerre des Malouines, intrinsèquement liée à celle de la dernière dictature (1976-1983), aussi bien qu’une politique économique particulièrement dévastatrice qui s’est imposée durant les années 1990, deux thèmes centraux dans la société et la politique argentines durant les vingt-cinq dernières années. En effet, l’histoire de la lutte pour le souvenir de la guerre et de ses victimes est celle d’une rencontre souvent difficile, voire conflictuelle, avec la volonté, pleinement reconnue, de faire toute la lumière sur la dictature.
Par ailleurs, la reconstruction du cimetière est matériellement inscrite dans le contexte des vastes privatisations que la décennie 1990 a connues [8]. D’une part, les associations de vétérans se sont affrontées dans un conflit qui reproduit et recoupe le conflit des mémoires des « années de plomb » [9], résumé dans la formule lapidaire d’un représentant du CECIM [10] : « le pire pour les militaires aurait été que les parents des Malouines s’unissent avec les Mères de la Place de Mai [11] » [12]. Cette déclaration fait suite à une révélation sur le président de l’association des Familiares, Héctor Omar Cisneros, dont le nom est apparu dans la liste des agents civils des services secrets militaires rendue publique en janvier 2010 [13]. La présence de ces services à la direction de l’association place cette dernière, de fait, sous influence militaire. D’autre part, l’entreprise Aeropuerto Argentinos 2000 est le principal et presque exclusif bailleur de fonds de la reconstruction du cimetière, qui a coûté environ un million de dollars. Or cette entreprise est emblématique de la grande vague de privatisation que l’Argentine a connue, de même que son bénéficiaire, Eduardo Eurnekián. Ce dernier, longtemps poursuivi pour fraude fiscale, n’est en effet pas moins emblématique de « l’ère Menem ». Le tribunal a finalement considéré comme légal le complexe système d’évasion fiscale d’Eurnekián reposant sur des donations à des fondations [14].
Les modalités qui ont présidé à la reconstruction du cimetière ne doivent pas faire oublier le symbole qu’il représente pour l’Argentine. L’irrédentisme est un sentiment partagé par l’immense majorité des Argentins et les corps des combattants qui s’y trouvent sont, symboliquement, l’expression d’une souveraineté frustrée. Du côté argentin, le cimetière apparaît comme une enclave de souveraineté nationale dans la colonie britannique. Néanmoins, selon les récits, cette souveraineté recouvre des sens différents.
Afin de bien comprendre les conflits apparus autour du cimetière Darwin, il faut évoquer la guerre et les conditions de construction du premier cimetière, puis observer la manière dont ont émergé les associations qui portent des mémoires concurrentes de la guerre en Argentine. Enfin, les conditions de la reconstruction du cimetière et de son inauguration en octobre 2009 invitent à s’interroger sur la surprenante relation entre le système économique libéral des années quatre-vingt-dix et un récit de la guerre principalement porté par les militaires et mis en scène par une esthétique monumentale qui arrive à se développer malgré l’effacement de l’État.
La guerre, de l’enthousiasme à l’oubli
La guerre des Malouines commence en avril 1982, à la suite du débarquement en partie improvisé de soldats argentins, officiellement sous couvert d’une expédition scientifique [15]. Les îles Malouines ont été colonisées en 1833 par les Britanniques et rebaptisées Falkland Islands. L’Argentine n’a cessé de revendiquer sa souveraineté sur l’archipel, mais l’irrédentisme s’est principalement développé à partir des années 1930 [16]. Il a été relayé avec constance dans les écoles, si bien que tout enfant argentin apprend que « les Malouines ont été, sont et seront toujours argentines », quand bien même nombre d’adultes ne sauraient les situer avec certitude sur une carte [17]. C’est pourquoi la dictature [18], alors contestée par les premières manifestations ouvertes et massives, conçoit la récupération de ces îles comme un moyen de retrouver un soutien populaire [19].
De fait, l’annonce du recouvrement de la souveraineté, le 2 avril 1982, accompagnée de la publication de photographies du drapeau argentin à Port Stanley, immédiatement rebaptisé Puerto Argentino, suscite un des plus grands enthousiasmes populaires qu’ait jamais connus le régime, à l’exception peut-être de l’organisation de la Coupe du monde de football en 1978 [20]. Des centaines de milliers de personnes se rassemblent sur la Plaza de Mayo pour soutenir la « cause des Malouines », sans qu’elles soient d’ailleurs nécessairement favorables au régime [21]. Le soutien populaire se maintient dans les mois qui suivent, alimenté par une propagande triomphaliste sans rapport avec l’évolution des opérations. Celles-ci commencent réellement par le torpillage du croiseur Belgrano le 2 mai 1982, qui provoque la mort de trois cent vingt-trois membres de l’équipage, soit près de la moitié de l’ensemble des pertes humaines argentines de la guerre [22]. Sur les îles, les fantassins attendent le débarquement des troupes britanniques dans des conditions extrêmement dures [23]. Après la capitulation signée le 14 juin 1982 par le général Menéndez, gouverneur militaire des îles au cours de la brève administration argentine, les troupes défaites sont rapidement réexpédiées vers le continent.
Restent les dépouilles de soldats morts sur les champs de bataille. Les autorités militaires britanniques font rassembler les corps dispersés – un labeur auquel participent souvent des prisonniers argentins – dont beaucoup ne sont pas identifiés [24]. Puis elles informent le gouvernement argentin que les corps sont à sa disposition et demandent s’il faut les faire « rapatrier ». En janvier 1983, les autorités argentines autorisent l’enterrement des corps sur place, se réservant le droit de les « transférer » par la suite [25]. Les Britanniques regroupent alors les dépouilles en un seul lieu : l’Argentine Cemetery est né.
La lenteur de la réaction des autorités argentines tient probablement à une situation diplomatique inextricable. En effet, comment rapatrier des corps alors que la terre qui les recouvre est censée appartenir à la patrie ? Dans l’immédiat, le fiasco militaire provoque l’annonce d’un retour au régime constitutionnel et les autorités ont peut-être ignoré la question des Britanniques du fait d’une situation qui s’apparentait à une vacance du pouvoir. La reddition provoque en effet une crise institutionnelle majeure. Le président de la junte, le général Leopoldo Galtieri, est révoqué le 17 juin 1982 et remplacé à la tête de l’État par le général Bignone qui annonce la tenue prochaine d’élections [26]. Mais la junte dissoute n’est pas pour autant remplacée car la guerre a réveillé les antagonismes, toujours latents, entre les trois forces armées (Terre, Mer, Air), jusqu’au paroxysme de juillet et août, lors duquel la Marine affirme ne répondre désormais qu’à sa propre hiérarchie interne [27]. Dès septembre cependant, alors qu’une nouvelle junte se forme, les militaires retrouvent une certaine cohésion pour se retirer du pouvoir en bon ordre face à des civils qui demandent des comptes, en particulier sur les violations des droits de l’homme. En réponse, la dernière junte promulgue une loi d’amnistie pour tous les crimes commis durant la dictature [28].
La même attitude consistant à empêcher toute enquête publique se retrouve sur la question du fiasco des Malouines. À leur retour sur le continent, les soldats, désormais vétérans, sont gardés au secret dans les casernes. Ils ne doivent rien communiquer de leur expérience du conflit. Peu à peu, l’incompétence manifeste dont a fait preuve la hiérarchie militaire et les conditions d’extrême dénuement des soldats conscrits transpire dans la population. La guerre est cependant reléguée au second plan et la ferveur populaire laisse place au silence, d’autant que l’opinion publique, entre 1982 et 1984, est surtout bouleversée par la révélation des crimes perpétrés contre les opposants politiques de la dictature. Même si la guerre reste très présente dans la mémoire des vétérans et des parents qui y ont perdu un fils, elle reste oblitérée par l’effrayant bilan humain de la « guerre contre la subversion ». Néanmoins, vétérans et parents s’organisent, et deviennent ainsi les vecteurs de la mémoire des Malouines [29]. Mais loin d’offrir un récit homogène de la guerre, les associations produisent des mémoires conflictuelles, s’opposant sur le sens de la guerre et la manière de communiquer l’expérience et les parcours individuels des personnes qui y ont trouvé la mort.
Associations et conflits de mémoire
La Comisión de Familiares de Caídos en Malvinas e Islas del Atlántico Sur
Pour différentes raisons, les autorités et plus largement la société argentines délaissent les questions attachées à la guerre contre la Grande-Bretagne. Ce sont donc les familles des soldats morts qui s’inquiètent des corps restés dans l’archipel. Dès septembre 1982, l’association Comisión de Familiares de Caídos en Malvinas e Islas del Atlántico Sur se réunit [30] et ses membres cherchent à se recueillir sur les tombes de leurs proches. L’accès aux îles est alors fortement restreint aux Argentins : la compagnie aérienne argentine qui assurait la liaison entre le continent et les îles a suspendu son service et les autorités anglaises n’acceptent pas l’entrée de citoyens argentins sur leur territoire. Malgré ces difficultés, les parents tentent un premier voyage le 4 avril 1983 [31]. En l’absence d’avion et d’autorisation, une cinquantaine de parents affrètent un bateau, le Lago Laca, jusqu’à l’île Soledad, où reposent leurs disparus. Les Britanniques préviennent que le franchissement des eaux territoriales sera considéré comme une provocation belliqueuse et le navire est contraint de rebrousser chemin. Alors qu’il fait demi-tour, les familles réunies sur le pont lancent leurs offrandes – fleurs, rosaires et représentations de la Vierge de Luján – à la mer. Les « pèlerins » donnent alors une autre signification au voyage : dans l’océan reposent les victimes du croiseur Belgrano et ces offrandes leurs sont dédiées.
Dans le documentaire qui retrace ce voyage, Locos de la Bandera, la mère d’un soldat mort raconte son retour sur le continent : « Une journaliste très connue m’a demandé : “Madame, vous ne voudriez pas que son corps soit rapatrié ?” J’ai répondu : « Comment pouvez-vous me poser cette question, puisque son corps est dans notre patrie ?” » Ce témoignage résume bien la position des parents et celles des nombreuses associations d’anciens combattants qui commencent à voir le jour au cours des années 1980 : la souveraineté sur les îles n’est abandonnée par aucune d’entre elles, pas plus que par l’État argentin. Accepter le « rapatriement » des corps reviendrait pour eux à trahir la cause pour laquelle les soldats sont morts.
Néanmoins la visibilité de ces associations reste limitée, cette cause étant, à tort ou à raison, associée aux militaires. Dès 1982, le politologue français Alain Rouquié, dans un entretien donné à la revue Humor, expose le problème en usant d’une expression promise à un bel avenir : la cause des Malouines étant un moyen pour les militaires, alors totalement discrédités, de recouvrer une légitimité, il appelle à « démalviniser » (desmalvinisar) la politique argentine afin de prévenir toute tentative d’un retour des militaires dans la politique [32]. Cependant, il existe deux sortes de malvinisation. L’une est effectivement un moyen pour les militaires professionnels de retrouver un espace politique. Le dénouement de la crise de la Semaine Sainte de 1987 en est une illustration éloquente [33]. Mais une seconde malvinisation s’inscrit dans une franche opposition au récit militariste de la guerre. Elle n’est pas une geste guerrière menée par les militaires mais un nouveau crime de ceux-ci, qui auraient envoyé les conscrits à l’abattoir. Ici, les soldats sont les victimes d’une guerre menée par des militaires irresponsables et incompétents, sans que cela ne remette en cause la revendication de souveraineté sur l’archipel.
La difficulté consiste à se démarquer des militaires, sans pour autant remettre en question la légitimité de la guerre et de la cause. Toutes les organisations politiques, pour des raisons différentes, revendiquent, au moins sur le plan rhétorique, la souveraineté sur les îles. Mais la tentative la plus spectaculaire de la recouvrer a bien été menée par les militaires au pouvoir. De sorte qu’aussi catastrophique qu’ait pu être l’opération, le thème des Malouines reste attaché à l’image des militaires [34] et à une tendance politique [35]. Dissocier les deux est d’autant plus ardu que les anciens combattants se reconnaissent principalement par leur passage dans l’armée. Cela explique le souci d’une association comme le CECIM de n’accepter dans ses rangs que d’anciens appelés, donc d’en exclure les militaires de carrière. Pour eux, il s’agit à la fois de dénoncer la guerre des Malouines et de revendiquer la souveraineté sur les îles en leur qualité de vétérans. Le rejet de la dictature et la volonté de récupérer les Malouines était perceptible dès le début de la guerre – comme l’indiquaient les slogans des Mères de la Place de Mai. Les récits postérieurs inscrivent encore la fracture entre les dirigeants militaires d’une part, le peuple et les soldats envoyés au combat de l’autre.
Cette position en rencontre une autre, en principe radicalement opposée : certains militaires professionnels s’opposent aux généraux de la dictature et reprochent à une armée « de bureau » sa gestion de la guerre. Autrement dit, des militaires qui revendiquent aussi la « sale guerre » (le massacre des opposants politiques) se retrouvent sur une ligne similaire aux opposants du régime sur la question des Malouines. De fait, ce « parti » – les carapintadas – construit sa légitimité sur ses faits d’armes durant le conflit, avec les deux figures emblématiques que sont Mohamed Alí Seineldín [36] et Aldo Rico [37], qui font partie des troupes d’élite et ont été décorés à l’issue de la guerre. Ils représentent une fracture interne à l’armée qui naît de la guerre et ce sont principalement ces militaires qui sont associés à la cause des Malouines. Dans ces conditions, la construction d’un espace de « gauche » ou antimilitaire autour de cette même cause se révèle très problématique.
La première association à véritablement émerger sur le thème de la mémoire des Malouines est Familiares. Progressivement, elle s’impose comme l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et obtient plusieurs succès symboliques. Or la relation de la direction de Familiares avec les militaires est ambiguë. Son récit de la guerre recoupe en grande partie celui, héroïque, qu’ils ont construit. Il existe en effet des liens entre sa direction et l’armée. Le porte-parole actuel de Familiares, César González Trejo, a participé durant les années quatre-vingt-dix au comité de soutien à Seineldín [38], le chef emblématique des carapintadas emprisonné à la suite d’une rébellion. Quant à son président, Héctor Omar Cisneros, nous avons vu qu’il était aussi un agent civil des services de renseignement militaire. Aussi certaines des positions que l’association a prises permettent-elles de comprendre quels sont les enjeux pour les militaires qui, précisément à travers Familiares, gardent la mainmise sur le récit de la guerre. C’est notamment le cas de la question des corps non identifiés du cimetière Darwin.
Lorsque les Anglais décident en 1983 de construire un cimetière pour les Argentins, de nombreux corps ne sont pas identifiés et sont enterrés sous l’inscription « Argentine soldier known unto God » [39]. En 1991, sous l’impulsion de Familiares, le premier voyage de parents est effectué. La mère d’un combattant mort raconte : « Voir le cimetière, c’était fermer un cercle : Roberto est là, c’est réel, il est mort, c’est réel, il est là. Tant de croix sans identification. Moi, je ne sais pas quelle est la tombe de mon fils. Et moi j’ai pensé : “Tous sont nos morts”. J’en ai choisi une, et celle-ci est ma tombe, celle-ci est mon fils. Et j’avais raison : tous sont nos fils » [40]. Ce récit recoupe la version officielle de Familiares :
« La plupart de nos familles sont arrivées au Cimetière Argentin de Darwin en 1991, sans savoir qu’elles verraient beaucoup de tombes sans nom. Cela provoqua de la tristesse, de la rage et aussi une énorme envie de réparer cette question. L’élaboration du deuil parmi les familles de Tombés a pris immédiatement la forme d’une lutte pour l’identité individuelle et collective.
L’angoisse que provoqua cette grande quantité de croix blanches sans nom a généré un sentiment partagé par tout le groupe : “Tous sont nos fils” » [41].
L’« identité individuelle et collective » recouvre ici une seule et même réalité, de sorte que, sur le monument du cimetière, les noms de tous les « héros tombés en action » se succèdent dans l’ordre alphabétique, sans distinction de grade ni d’appartenance aux corps d’armée, y compris ceux des marins disparus avec le croiseur Belgrano. Quant aux nouvelles croix, elles portent la même inscription qu’auparavant, désormais traduite en espagnol : « Soldado argentino, sólo conocido por Dios » [illustration n°1].

Dans cette version, qui s’est officiellement imposée avec la reconstruction du cimetière, tous les défunts sont des héros morts au champ d’honneur. Les trajectoires individuelles disparaissent dans une mort héroïque au combat. Cette conception est cependant contestée par les vétérans du CECIM qui militent pour l’identification de chacun des corps. L’association cherche à reconstituer les circonstances précises des morts violentes, qui révèlent une histoire très différente de la guerre. Par exemple, le jeune conscrit Alejandro Vargas n’est pas mort sous les balles britanniques ou dans un combat à l’arme blanche lors du débarquement des troupes anglaises, mais avec trois de ses camarades, pour avoir marché sur une mine argentine en sortant d’une maison abandonnée où il espérait trouver à manger [42]. Chacune de ces précisions met à mal le récit héroïque de la guerre produit par les militaires. En l’occurrence, les soldats avaient faim bien avant le combat, circonstance qui incrimine la logistique, responsabilité qui incombe aux officiers. Pour le CECIM, placer tous les morts dans une même catégorie héroïque revient à cacher les circonstances réelles de la guerre et, en dernière analyse, à disculper les chefs militaires qui l’ont menée. C’est pourquoi la liste dressée par l’association accompagne les noms des défunts des circonstances de leur mort [43]. Des « mort de faim » côtoient des « mort par congélation » ou pour « dénonciation d’assassinat » [44]. Confondre l’ensemble des combattants des Malouines, c’est laver l’honneur de militaires qui, avant la guerre, ont participé à la répression contre la population civile argentine. Ainsi, Pedro Giachino, le premier mort argentin de la guerre, est un tortionnaire reconnu comme tel par Víctor Basterra, ancien détenu du camp de concentration clandestin de l’Escuela de Suboficiales de Mecánica de la Armada (ESMA, École de mécanique navale) de Buenos Aires [45]. De même, le tristement célèbre capitaine Alfredo Astiz [46] est l’un des premiers officiers à se rendre aux Britanniques sans combattre.
Dès lors, l’enjeu des identifications apparaît plus clairement. L’individualisation des trajectoires permet la construction d’une histoire bien plus complexe, où les antagonismes de la société argentine se retrouvent sur le sol des Malouines, au lieu d’être effacés par une homogénéisation des identités sous la bannière héroïque du soldat mort au combat. Le conflit est d’autant plus fort que la question de l’identification des combattants recoupe celle des disparus pendant la dictature. En effet, une grande partie des corps des personnes séquestrées ont été enterrés par les militaires dans des tombes NN [47]. La revendication de membres du CECIM, « Nous sommes victimes de la dictature, il ne peut y avoir de NN dans ce cimetière », brandie sur une banderole dans le cimetière Darwin en mai 2007, s’oppose ainsi à l’inscription « Soldat argentin, seulement connu par Dieu ». (Voir cahier d’illustrations.)
Pour Familiares, les corps doivent reposer en paix dans le cimetière reconstruit et devenu un monument historique reconnu par l’État argentin. L’association s’oppose fermement à ce que des échantillons de corps soient prélevés pour être analysés dans les laboratoires d’Anthropologie Légale, organisme né dans les années quatre-vingt pour identifier les restes des desaparecidos. La Comisión de Familiares joue de sa double légitimité de représentante des parents des morts – alors que le CECIM est une association d’anciens combattants – et d’interlocuteur privilégié auprès des États argentin et britannique. L’association lance, et bientôt gère, les voyages des parents aux îles organisés à partir de 1991 [48].
La consolidation de la Comisión de Familiares durant les années 1990 s’inscrit dans un triple contexte de normalisation des relations bilatérales entre l’Argentine et la Grande-Bretagne, d’une perte significative de pouvoir des militaires dans le pays et, enfin, de privatisation massive de l’économie nationale. Les « relations charnelles » [49] que le président Carlos Menem (1989-1999) établit avec les États-Unis ont pour corollaires des relations diplomatiques renouées avec Londres, où le président argentin se rend en 1998. L’autorisation des premiers voyages de parents aux Malouines est l’un des signes de cet apaisement. Le thème des Malouines reprend de la vigueur en Argentine lorsque les militaires ne représentent plus un danger pour le régime démocratique. En effet, le premier soulèvement de carapintadas sous la présidence de Menem est fermement réprimé et ses leaders emprisonnés [50]. Ce facteur de déstabilisation, constant durant la présidence d’Alfonsín, est ainsi durablement écarté [51]. De plus, dans un contexte de réduction constante du budget militaire, le service obligatoire est aboli en 1994. Les militaires semblent enfin disposés à rester dans leurs casernes, de sorte que la question des Malouines perd de sa dangerosité. Des monuments célébrant le conflit sont érigés dans tous le pays, à l’instar de celui aux « héros des Malouines » qui se dresse sur la place San Martín à Buenos Aires. Le pouvoir politique s’intéresse aux anciens combattants qui obtiennent une nouvelle visibilité et des avantages sociaux. Le diagnostic d’Alain Rouquié semble inversé : la dépolitisation des militaires permet la malvinisation de la politique.
Dans ce contexte, les associations liées aux Malouines gagnent en visibilité, notamment la Comisión de Familiares, régularisée en 1994, dont le siège social à Buenos Aires lui permet de centraliser les demandes de familles dispersées dans tout le pays. Outre un message relativement consensuel qui convient au pouvoir politique, elle s’accommode rapidement des nouvelles formes de financement qui accompagnent la grande vague de privatisation de l’économie. Sa croissance est proportionnelle à son budget nourri, dans un premier temps, de fonds publics destinés aux voyages (probablement gérés avec quelques libertés) [52]. Mais le projet de construire un monument l’amène à rechercher des financements d’une tout autre ampleur, cette fois dans le privé. Autour de 1998, la décision est prise et un appel d’offre réalisé [53]. Une fois le plan choisi, le devis est estimé à près d’un million de dollars, une somme a priori hors d’atteinte pour une association qui gère quelques dizaines de milliers de pesos (ou de dollars, les deux monnaies étant alors équivalentes) selon le nombre de voyages effectués dans l’année. Le gouvernement fait savoir qu’il ne financera pas le projet. L’association sollicite des contributions, en particulier lors des matchs de football, et réunit une certaine somme, encore accrue par l’organisation d’un concert au théâtre Colón, mais encore très insuffisante. C’est l’ambassadeur britannique à Buenos Aires qui invite César Trejo et Héctor Cisneros dans sa résidence pour qu’ils rencontrent le riche entrepreneur Eduardo Eurnekián. Selon César Trejo, ce dernier aurait proposé de financer intégralement la construction du monument sans aucune contrepartie et sans donner d’explication à son geste.
Eduardo Eurnekián est un personnage à bien des égards emblématique de l’Argentine des années quatre-vingt-dix. Propriétaire d’un groupe de médias, il diversifie ses activités pour profiter des grandes privatisations. Il achète alors les principaux aéroports argentins, des entreprises déjà rentables sous gestion publique et qui lui assurent une fortune incalculable. Il est le bénéficiaire le plus célèbre de la politique de privatisation menée tambour battant par le ministre de l’Économie Domingo Cavallo. En ce sens il représente une Argentine qui fait table rase des biens publics, celle de « l’argent facile » et du spectacle de la corruption : Aeropuertos Argentinos 2000, la principale entreprise de Eduardo Eurnekián, est en effet au cœur de scandales à répétition – celui de sa privatisation ou celui de son implication dans des trafics de drogues [54]. Rien ne prouve que son propriétaire ait une relation quelconque avec ce commerce illégal [55]. Ce qui importe est que cette entreprise, symbole d’un enrichissement spectaculaire, admiré quels qu’en soient les ressorts, finance la rénovation du cimetière. L’État a alors bradé pratiquement toutes ses entreprises rentables dans des conditions fortement contestées. Son pouvoir s’est considérablement réduit, ce qu’illustre le financement à titre gracieux de la rénovation du cimetière par une entreprise privatisée [56].
Pourquoi l’association a-t-elle choisi un projet dont le budget dépassait de loin ses capacités financières alors qu’il était possible d’imaginer un hommage collectif moins onéreux ? L’accès aux documents pouvant éclairer ce choix nous étant interdit, nous ne pouvons qu’émettre quelques hypothèses. Le projet illustre une conception des honneurs dus aux morts indissociable d’une héroïsation, attachée à une esthétique monumentale grandiose qui rejoint celle qu’affectionnent les militaires, dont les hommages se conçoivent généralement par l’érection de grands monuments dans la tradition des honneurs étatiques. En l’occurrence, le monument du cimetière est calqué sur celui érigé sur la place San Martín de Buenos Aires. Autrement dit, pour l’association, la dignité est attachée aux formes extérieures que peuvent revêtir un État ou l’un de ses corps. Mais cette forme d’hommage, qui véhicule une certaine conception de la guerre, n’était pas la seule possible. Afin de bien saisir quel récit de la guerre est inscrit dans le cimetière rénové, envisager son contrepoint, celui diffusé par le CECIM, l’association la plus frontalement opposée à la Comisión de Familiares est nécessaire.
Le Centro de Ex-Combatiente Islas Malvinas
Le Centro de Ex-Combatiente Islas Malvinas de La Plata est l’une des premières organisations de vétérans qui se forment au lendemain de la guerre. Elle a la particularité d’accepter en son sein des militants communistes [57], à une époque où ceux-ci sont ostracisés par les autres associations d’anciens combattants [58], et de refuser, dans ses statuts, les militaires de carrière [59]. Elle marque ainsi une fracture tranchée entre vétérans sans être pour autant antimilitariste : les membres du CECIM revendiquent le droit de manifester en uniforme, ils affirment même être plus dignes de le porter que les militaires, comme l’explique l’un d’eux : « Nous utilisons l’uniforme parce que nous sommes un témoignage vivant d’une génération qui l’a mis pour défendre la patrie et non pas pour torturer, réprimer et assassiner [60] ». Contrairement à une opinion publique largement hostile à son maintien durant les années quatre-vingt, ils ne sont pas opposés au service militaire obligatoire, considérant que sa suppression accentuerait l’éloignement entre les militaires de carrière et la population, cause de multiples coups d’État [61]. Il s’agit de développer une armée différente, intrinsèquement liée au peuple, dont les conscrits seraient les meilleurs représentants.
Ce discours peine à trouver une visibilité sociale durant les années quatre-vingt. D’une part, il ne coïncide pas avec celui des organismes des droits de l’homme, qui exècrent les signes militaires, associés à la dictature, et ne conçoivent les conscrits que comme des victimes [62]. D’autre part, les spectaculaires interventions dans l’espace public de militaires professionnels qui revendiquent « la geste des Malouines » ruinent les efforts du CECIM qui se mobilise pourtant contre ces soulèvements [63]. L’association échoue à imposer son message spécifique, de sorte que, à l’instar des autres associations de vétérans, elle se replie sur des revendications plus immédiates pour obtenir des avantages sociaux sectoriels. Durant les années quatre-vingt-dix, une série de lois et décrets octroient des pensions et droits sociaux aux anciens combattants, en même temps que les États – l’État fédéral et les États provinciaux – font construire des monuments commémoratifs sur l’ensemble du territoire [64]. Le discours sur la guerre du CECIM tranche cependant nettement par rapport à celui des autres associations de vétérans qui alignent leurs récits sur celui diffusé par les militaires. Comme nous l’avons vu, cette opposition se cristallise sur la question de l’identification des corps des soldats morts, à partir du constat des croix sans nom dans le cimetière des Malouines.
Le CECIM n’a pas formellement critiqué la construction du monument et la rénovation du cimetière. Il ne souhaitait probablement pas heurter les parents des défunts, ni s’opposer à une entreprise dont la popularité était prévisible. Néanmoins, une série d’objections quant à son financement et à sa signification apparaissent dans les entretiens [65]. Ernesto Alonso affirme avoir rencontré l’ancien président de Familiares, Héctor Cisneros, et avoir opposé à son « monument acheté » un « monument socialement construit ». Il estime qu’il eût été préférable que la rénovation du cimetière prît bien plus de temps, mais qu’elle fût réalisée par les familles et les anciens combattants plutôt que par des professionnels. Le recours à ces derniers semble être un point important de divergence entre les deux associations. À notre connaissance le CECIM emploie bien une secrétaire, mais ce sont ses membres qui se chargent de l’essentiel des démarches et actions. Ainsi, en avril 2007, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la guerre, les associations de vétérans et parents furent invitées par le ministère de la Défense à organiser une exposition dans ses locaux. L’œuvre principale du CECIM, un mannequin crucifié dans la boue, est une représentation évidente du plus connu des supplices auxquels les soldats étaient mis par leurs supérieurs [66]. Cela a provoqué l’indignation de Familiares qui s’est retirée de l’événement et a fait parvenir un communiqué dénonçant « une exposition [qui] déshonore la mémoire de nos Héros, réduit la complexité à une vision partiale et éloignée de la vérité des faits » [67].
Durant la même période de commémoration de la guerre, la Comisión de Familiares organisait une autre exposition itinérante, réalisée par des artistes professionnels. L’œuvre la plus impressionnante de cette très belle exposition, constituée pour l’essentiel d’objets personnels de combattants, était une composition à partir des croix de cèdres du cimetière Darwin. Celles-ci, remplacées par les nouvelles, pendaient désormais sur une structure invisible, de sorte que le visiteur marchait au milieu de croix encore ornées des fleurs séchées et des rosaires offerts par les familles, au centre d’une lumière spectrale savamment agencée [68]. L’exposition, inaugurée dès avril 2006, a circulé dans de nombreuses villes argentines et plusieurs dizaines de milliers de visiteurs l’ont vue en un an [69], ce qui a permis de faire connaître l’œuvre réalisée par l’association dans le cimetière Darwin. Celui-ci est rénové depuis 2004 mais son inauguration a été retardée du fait de nouvelles tensions diplomatiques et commerciales entre la Grande-Bretagne et l’Argentine. D’après César Trejo, les insulaires souhaitent imposer une compagnie d’aviation locale pour effectuer l’ensemble des voyages entre les îles et le continent. L’État argentin et les associations s’y opposent et souhaitent ouvrir le marché aérien à la concurrence, dans un contexte où l’archipel commence à représenter un enjeu touristique [70]. Durant la même période, l’Argentine annule un accord signé en 1995 laissant le champ libre aux compagnies britanniques pour exploiter les gisements d’hydrocarbures situées autour des îles. À cela, il faut ajouter des tensions proprement diplomatiques ravivées à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la guerre en 2007. Les déclarations de Tony Blair louant les décisions de Margaret Thatcher durant la guerre sont reçues comme un camouflet par les Argentins [71].
Les tensions entre les deux États sont cependant atténuées par un accord « humanitaire » [72] en faveur de l’association qui souhaite inaugurer le nouveau cimetière. La Comisión de Familiares fait valoir l’âge avancé de nombreux parents qui veulent se recueillir sur les tombes [73]. Une fois que la cérémonie se précise, l’association commence à répandre une réplique de la Vierge de Luján dans de nombreuses villes du pays. Symboliquement, elle doit porter les hommages de tous les Argentins auprès des corps des combattants morts pour la patrie. Cependant, tout aussi symboliquement, la Vierge se déplace à l’arrière d’une Jeep, déplacement coordonné par un ancien carapintada [74]. (Voir cahier d’illustrations.)
Cette image rétablit l’armée et l’Église au centre du récit de la guerre des Malouines. Les acteurs les plus décriés pour leur rôle durant la dictature – et particulièrement dans le massacre des opposants politiques – ont réussi à s’emparer de la mémoire des Malouines. Il s’agit pour eux d’un récit stratégique dans la mesure où il permet une réhabilitation partielle du rôle des militaires. Ici, le rôle de l’Église est fondamental : placer la figure de la Vierge de Luján, associée à celle de la patrie, dans le cimetière des Malouines revient à planter à nouveau un drapeau argentin sur le territoire. C’est du moins une conception très répandue. Mais la Vierge recouverte du manteau céleste élimine ainsi de la nation une partie de la population : « Il n’y a pas de Juifs… ? Je ne sais pas, des agnostiques ou des musulmans, enterrés là ? Moi, par exemple, je suis agnostique » [75], remarque le président du CECIM.
Sa qualité d’ancien combattant donne un certain poids à sa critique : les croix et la Vierge n’auraient pas convenu à sa propre tombe. Dans la mesure où une grande partie des corps n’ont pas été identifiés, la question mérite réflexion, même dans ce pays très majoritairement catholique. La Comisión de Familiares, à travers la Vierge et sous prétexte de réaffirmer la souveraineté symbolique sur les îles, exprime une certaine conception de la nation argentine qui exclut les non-catholiques.
En définitive, il importe peu de savoir si l’ensemble des corps reposant dans le cimetière Darwin ont été baptisés. La question est de savoir comment sont racontées leurs histoires de vie et de mort. Dans cette perspective, Familiares a imposé un récit homogène : ils sont tous des « héros morts au combat dans la glorieuse bataille pour les Malouines » et de bons catholiques qui ont tout donné pour la Patrie. Les histoires divergentes n’apparaissent pas dans les allées du cimetière.
La rénovation du cimetière argentin des Malouines est à ce jour l’action la plus importante de l’association Familiares. La direction [76] de cette dernière montre de nombreux liens avec un groupe de militaires particulièrement réactionnaires, les carapintadas [77], dont le mythe fondateur est la guerre des Malouines. Le récit homogène de la guerre que Familiares a inscrit dans le cimetière recoupe celui, héroïque, qu’ont diffusé ces militaires. Pour construire le nouveau cimetière, l’association a eu recours à des fonds privés. Cette alliance de fait entre la direction d’une association de parents de victimes, des militaires réactionnaires et un homme d’affaires qui incarne le néolibéralisme argentin, a permis la construction d’une représentation de la guerre largement acceptée, notamment grâce à l’Église. Les parents des combattants morts ont obtenu de pouvoir se recueillir près des corps de leurs proches. La population et les médias ont suivi avec empathie le parcours de la Vierge de Luján qui devait parachever l’œuvre du nouveau cimetière. De même, l’exposition qui a suivi sa reconstruction a obtenu un grand succès public. La visibilité gagnée par le cimetière a été officiellement reconnue par une loi qui le classe parmi les monuments historiques de la nation. Les succès de Familiares ne préjugent cependant pas de l’avenir. D’une part, les procès en cours sur les crimes contre l’humanité commis sur des conscrits peuvent rouvrir un débat qui changerait nécessairement le récit de la guerre. D’autre part, la révélation de la proximité de la direction de Familiares avec des secteurs militaires particulièrement détestés (le renseignement militaire) peut déboucher sur une remise en cause des positions de l’association. Rien ne garantit que, demain, les « soldats argentins connus seulement de Dieu » ne recouvrent leur identité parmi les hommes.
Notes
-
[1]
Monumento a los Caídos se traduit littéralement par « Monument aux Tombés », sous-entendu « morts sur le champ de bataille ».
-
[2]
Página 12 du 2 octobre 2009 : http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-132759-2009-10-02.html-02.html.
-
[3]
Inauguración del Monumento a los Caídos en el Cementerio Argentino de Darwin, Malvinas, brochure de la Comisión de Familiares de Caídos en Malvinas e Islas del Atlántico Sur, s. d. [2009 ou 2010].
-
[4]
Il s’agit d’un bois considéré comme précieux. L’arbre pousse uniquement en Amérique du Sud.
-
[5]
Les relations bilatérales ne se sont normalisées qu’au cours des années 1990, mais la question des Malouines reste un contentieux entre les deux États. K. Dodds, « Towards Rapprochement? Anglo-Argentine Relations and the Falklands/Malvinas in the Late 1990s », International Affairs, vol. 74, n°3, July 1998, p. 617-630.
-
[6]
Loi n°26.498 du 13 mai 2009.
-
[7]
Dans ce travail, nous nous référerons essentiellement à deux associations, qui représentent deux conceptions de la guerre pratiquement opposées en tous points : d’une part, l’association Comisión de Familiares de Caídos en Malvinas e Islas del Atlántico Sur (désormais Familiares) en charge de la gestion du cimetière, dont elle a dirigé la reconstruction, d’autre part, l’association civile Centro de Ex-Combatientes Islas Malvinas (CECIM). Chacune fait preuve d’une animosité marquée envers l’autre. Elles nous ont fourni des documents précieux pour notre enquête. Ceux offerts par Familiares sont principalement des documentaires réalisés par un professionnel car le porte-parole de l’association n’a pas souhaité nous donner accès aux archives des réunions, ni aux documents comptables. En revanche, le porte-parole de CECIM nous a facilité l’accès à quelques documents sur Familiares particulièrement compromettants, afin de la discréditer. Il nous a en effet remis un audit public qui montre de petites, mais nombreuses, irrégularités dans la gestion de fonds publics destinés à organiser les voyages des familles dans les îles. Les autres documents qu’il nous a fournis permettent de retracer une partie de l’histoire de CECIM, à travers un certain nombre d’actions effectuées par l’association depuis 1982.
-
[8]
Les années 1990 sont marquées en Argentine par la présidence de Carlos Saúl Menem, caractérisée par la privatisation spectaculaire des entreprises nationales et par une corruption massive, notoire, voire ostensible. Sur cette question, voir par exemple le documentaire, certes militant et quelque peu caricatural, de Fernando “Pino” Solanas, Memorias del Saqueo (2003).
-
[9]
En Argentine, l’expression se réfère aux années 1970 et intègre, selon les versions, la seule dictature ou la période de violence politique qui l’a précédé.
-
[10]
Le CECIM est une organisation de soldats vétérans de la ville de La Plata (capitale de la province de Buenos Aires). L’association, née peu après la guerre, n’admet pas de militaires de carrière et n’accueille que des conscrits envoyés à la guerre. Elle représente, dès les années 1980, la position la moins militariste portant la mémoire de la guerre.
-
[11]
Il s’agit de la plus célèbre des associations représentant les parents des victimes des crimes de la dernière dictature. Le nom de Mères de la Place de Mai (MPM) recouvre deux organisations nées d’une scission en 1986. L’Asociación Madres de Plaza de Mayo, la plus connue internationalement, est dirigée par Hebe de Bonafini, qui suit une ligne politique très clairement marquée à gauche. La seconde, Madres de Plaza de Mayo Línea Fundadora, est une organisation dédiée à la défense et à la promotion des droits de l’homme. Notre thèse doctorale, en cours de rédaction, précise ces différences.
-
[12]
Article paru dans le journal Crítica de la Argentina, le 24 mars 2010, disponible sur http://www.cecim.org.ar/noticias/verNoticia.asp?Id=657.
-
[13]
En janvier 2010, les noms de presque 4000 agents civils des services d’Intelligence de l’armée de terre durant la dictature ont été publiés, les archives ayant été déclassifiées quelques mois plus tôt. La liste des agents est téléchargeable, par exemple sur le site http://www.desaparecidos.org/arg/tort/. Héctor Cisneros figure dans la liste des agents du bataillon 601. Cette révélation a provoqué sa démission immédiate de la présidence de l’association. Son frère, Mario Cisneros, sergent des troupes spéciales du « Commando 602 », est mort au combat durant la guerre. C’est à ce titre qu’il est membre fondateur de Familiares.
-
[14]
M. F. Braccia, Cuadernos del Instituto AFIP, n°11, premier trimestre 2010, p. 65. Consultable ici : http://www.afip.gov.ar/instituto/Publicaciones2010.asp. L’AFIP (Administración Federal de Ingresos Públicos) est l’administration fiscale de l’État fédéral. L’auteur du rapport montre comment Eduardo Eurnekián a utilisé la loi sur les donations pour éviter de payer des impôts. Schématiquement, ces donations sont principalement allées à une fondation fantôme, dont le règlement permettait au donateur de jouir de ses dons jusqu’à son décès. Nous n’avons pas réussi à évaluer si la donation à Familiares entre dans ce système d’évasion fiscale. Mais cette provenance du financement illustre le contexte, et en partie le sens, de la construction du cimetière.
-
[15]
F. Lorenz, Malvinas. Una guerra argentina, Buenos Aires, Ed. Sudamericana, 2009, p. 12.
-
[16]
Ibid., p. 5.
-
[17]
L’historien Federico Lorenz, qui travaille notamment à partir d’entretiens, rapporte que de nombreux soldats appelés durant le conflit situaient les Malouines sur le continent.
-
[18]
Le coup d’État militaire du 24 mars 1976 a installé un régime d’une violence inédite dans le pays. La dictature a connu peu d’oppositions durant ses premières années, si ce n’est l’effort d’organisation des Mères de la Place de Mai (MPM), entre 1977 et 1978, pour obtenir des informations sur le sort de leurs enfants disparus. Comme les autres organisations de défense des droits de l’homme, elles ont plus de visibilité à l’étranger. Néanmoins, en 1982, les oppositions au régime sont plus nombreuses et mieux structurées : les principaux partis politiques se sont unis pour réclamer des élections et un retour au régime constitutionnel. Les syndicats organisent à nouveau des manifestations, par exemple le 30 avril 1982, deux jours avant l’annonce du débarquement sur les îles Malouines.
-
[19]
Les raisons qui expliquent la décision du débarquement sont multiples. La popularité de la cause en est une mais il faut aussi souligner la cécité diplomatique de la junte, qui conçoit la Grande-Bretagne comme une puissance de second ordre en pleine décadence et table sur la neutralité des Etats-Unis. Convaincue qu’il n’y aurait pas de batailles militaires, seuls de très vagues plans d’action avaient été ébauchés. Cette impréparation explique le dénuement des conscrits, dont certains sont pratiquement morts de faim sur les îles. Voir Lorenz, op. cit.
-
[20]
Voir, par exemple, J.-G. Contamin et O. Le Noé, « La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation », Le Mouvement social, n°230, janvier-mars 2010, p. 27-46.
-
[21]
Les Mères de la Place de Mai adoptent pour l’occasion le slogan : « Les Malouines sont argentines, nos fils aussi ! ». Lors de la manifestation qui accompagne la venue du médiateur, le secrétaire d’État Alexander Haig, le 10 avril 1982, une pancarte proclame « Las Malvinas son de los trabajadores, no de los torturadores » (« Les Malouines [appartiennent] aux travailleurs, non aux tortureurs »). Illustrant l’engouement pour une cause qui dépasse les clivages politiques, des prisonniers politiques Montoneros (péronistes révolutionnaires) sollicitent auprès de la direction de la prison le droit d’aller combattre sur les îles, s’engageant à revenir finir leur peine au terme du conflit. M. Novaro et V. Palermo, La dictadura militar, 1976-1983. Del golpe de estado a la restauración democrática, Buenos Aires, Ed. Paidós, 2003, p. 443.
-
[22]
649 Argentins sont morts durant la guerre, dont 323 lors du torpillage du croiseur ARA General Belgrano par un sous-marin britannique. Seuls 24 de ces corps sont inhumés sur le continent, les autres sont portés disparus. Les forces britanniques comptent 255 morts. Trois habitantes des îles ont aussi été tuées.
-
[23]
Les conditions dans lesquelles les soldats argentins ont combattu sont parfois comparées à celle des poilus de la Première Guerre mondiale. À une échelle évidemment tout autre, la stratégie adoptée par l’État-major argentin a été celle des tranchées. Les soldats, enfouis dans des tanières creusées dans des terres alternativement boueuses et gelées, ont vécu durant l’essentiel du temps de la guerre dans un froid polaire avec des rations alimentaires particulièrement médiocres. Voir, par exemple, F. Lorenz, Malvinas…, op. cit., p. 48.
-
[24]
De nombreux soldats argentins n’avaient pas d’identification car les autorités n’ont pas eu le temps de faire graver les noms de chaque soldat sur les plaques d’identité militaire avant d’envoyer les troupes au combat. F. Lorenz, Las Guerras por Malvinas, Buenos Aires, Ed. Edhasa, 2006, p. 139.
-
[25]
Ibid., p. 118.
-
[26]
Elles n’ont lieu qu’en novembre 1983.
-
[27]
« Jusqu’à ce que le gouvernement constitutionnel assume le pouvoir en 1984, la direction de la Marine sera exclusivement de la responsabilité de l’institution », cité dans M. Novaro et V. Palermo, La dictadura militar…, op. cit., p. 478.
-
[28]
Loi n°22.924 dite « d’autoamnistie », signée par Reinaldo Bignone le 23 septembre 1983. L’amnistie concerne les crimes liés à la « lutte anti-terroriste » depuis 1973. Elle est abrogée quelques mois plus tard par le président Alfonsín. J. Rubenstein, Représentations et héritages du « Processus de Réorganisation Nationale ». De la « théorie des deux démons » à la politique mémorielle (1983-2006), mémoire de master, dir. A. Lempérière, université de Paris 1, 2006, p. 16.
-
[29]
Nous utilisons le concept de « vecteurs de souvenir », dans le sens donné par Henry Rousso. En l’occurrence, nous nous intéressons plus spécifiquement aux vecteurs associatifs. H. Rousso, Le syndrome de Vichy. De 1944 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1987, 2e éd. 1990, p. 251-253.
-
[30]
Elle reste longtemps une structure informelle : ses statuts d’association civile sont enregistrés seulement en 1994. Mais comme en Argentine, la formation d’une association civile réclame de nombreuses démarches administratives et requiert le concours d’un avocat, il n’est pas rare que l’existence réelle des associations précède leur inscription au registre officiel.
-
[31]
Elle est racontée par les protagonistes dans un documentaire, Locos de la Bandera, réalisé entre novembre 2003 et décembre 2004 par Julio Cardoso, avec le soutien du ministère de la Culture et du sous-secrétariat à la Culture de la province de Santa Cruz. Ce film a été coproduit par la Comisión de Familiares de Caídos et par l’Instituto Nacional del Cine y Artes Audiovisuales (INCAA).
-
[32]
Humor, n°101, mars 1983. Cité par F. Lorenz, Las Guerras, op. cit., p. 191.
-
[33]
Cette crise se déroule entre le 15 et le 19 avril 1987 : après le refus d’un officier de se présenter devant le tribunal où il devait répondre de crimes commis durant la dictature, un groupe de militaires (bientôt appelés « carapintadas », littéralement « visages peints » parce qu’ils se noircissaient le visage) entre en sédition afin de forcer l’État à renoncer aux poursuites judiciaires pour violations des droits de l’homme, provoquant une mobilisation populaire de défense du régime constitutionnel sans précédent dans l’histoire argentine. Les rebelles déposent les armes après la visite dans l’école militaires qu’ils occupent du président de la République Raúl Alfonsín, qui s’adresse ensuite au peuple depuis le balcon de la Casa Rosada, siège du pouvoir exécutif, pour annoncer la fin de la crise. Il précise que parmi les factieux, « certains sont des héros des Malouines ». Les carapintadas entretiennent depuis une image de vétérans de la guerre des Malouines.
-
[34]
L’historien Federico Lorenz, dans les années 2000, témoigne de la suspicion qui l’entoure lorsqu’il dit enquêter sur ce thème. Il est presque immédiatement soupçonné d’affiliation politique à droite.
-
[35]
Du fait des nombreux coups d’État qu’a connus le XXe siècle argentin, les militaires sont considérés comme une force politique, si bien que l’expression « parti militaire » est couramment utilisée. Elle rend cependant peu compte des profondes divisions qui traversent l’institution : outre qu’on y retrouve la plupart des courants politiques civils, aux traditionnelles dissensions entre les armes s’ajoutent, durant les années quatre-vingt, des fractures entre officiers supérieurs et officiers subalternes ou entre « généraux de bureau » et « combattants » selon la terminologie des carapintadas, cette faction dont le point d’ancrage idéalisé est la guerre des Malouines.
-
[36]
Catholique intégriste, le colonel Mohamed Alí Seineldín (1933-2009) est le premier instructeur des commandos apparus à la fin des années soixante en Argentine, inspirés des « bérets verts » nord-américains. Ses élèves supportent des tortures durant les entraînements où ils doivent crier : « Vive le Christ Roi ! ». El Porteño, mai 1987, p. 47.
-
[37]
Le lieutenant-colonel Aldo Rico est le leader du soulèvement de Semana Santa et l’un des premiers élèves de Seineldín. Durant la guerre, il était à la tête du Commando 602 dans lequel combattait Mario Cisneros.
-
[38]
Critica de la Argentina, 13 avril 2008.
-
[39]
Le cimetière compte 237 tombes, dont 114 avec un nom inscrit sur la croix.
-
[40]
Documentaire Locos por la Bandera (2004).
-
[41]
Inauguración del Monumento a los Caídos…, op. cit.
- [42]
-
[43]
Document Excel fourni par le CECIM.
-
[44]
Il s’agit alors d’assassinats perpétrés par les supérieurs des conscrits. Il existe aussi des dénonciations pour torture sur les conscrits. Le procès pour crime contre l’humanité est en cours. Voir : http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1204091
-
[45]
Cf. l’hebdomadaire Veintitres du 5 avril 2007.
-
[46]
Il est l’un des agents de la répression de la dictature les plus connus internationalement, pour avoir infiltré les Mères de la Place de Mai. Il est à l’origine de la séquestration et de la disparition de la fondatrice des MPM, Azucena Villaflor, ainsi que des religieuses françaises Léonie Duquet et Alice Domon.
-
[47]
Les tombes NN (Nomen Nescio) sont emblématiques des premières années de la démocratie, lorsque des centaines de corps sont retrouvés dans des charniers sur l’ensemble du territoire. Ces découvertes macabres ont fait prendre conscience à la société argentine de l’ampleur des massacres perpétrés par la dictature. De nombreuses autres victimes ont aussi été jetées à la mer depuis des avions. Voir H. Verbitksy, El Vuelo. La guerre sale en Argentine, Paris, Dagorno, 1995.
-
[48]
Entre 1991 et 2003, Familiares organise vingt-trois voyages avec des fonds publics.
-
[49]
L’expression a été utilisée par le ministre des Affaires étrangères Guido di Tella pour décrire le nouvel alignement de l’Argentine sur Washington. Le mot du ministre est devenu d’usage courant pour dénoncer la politique extérieure du président Menem. Voir : http://es.wikipedia.org/wiki/Carlos_Menem.
-
[50]
Mohamed Alí Seineldín assume la responsabilité de ce dernier soulèvement (3 décembre 1990), particulièrement spectaculaire, avec l’occupation du bâtiment de la direction de l’armée, situé à une centaine de mètres de la Casa Rosada. Il est aussi meurtrier : on dénombre quatorze morts, dont cinq civils, des passagers d’un transport en commun écrasé par un char blindé. La nécrologie du quotidien espagnol El País du 4 septembre 2009 revient brièvement sur la vie du colonel putschiste : http://www.elpais.com/articulo/Necrologicas/Mohamed/Ali/Seineldin/ ultimo/golpista/argentino/elpepinec/20090904elpepinec_1/Tes
-
[51]
Les militaires ont obtenu satisfaction sur leur principale revendication, l’impunité pour les crimes commis durant la dictature, par les lois dite de « Point final » (1986) et « Obéissance due » (1987). Les lois d’impunité sont complétées par les grâces présidentielles octroyées par le président Menem aux généraux emprisonnés depuis le « procès des juntes » de 1985.
-
[52]
Non sans arrière-pensée, le CECIM nous a offert l’audit réalisé par le ministère de l’Intérieur en mars 2000, qui porte sur les comptes d’un voyage organisé par Familiares en février de la même année. Le rapport souligne à quel point certaines factures d’essence, de restauration et d’hôtel sont gonflées, ainsi que de nombreuses irrégularités, telles que des dépenses effectuées à Buenos Aires alors que le contingent de voyageurs est censé se trouver sur l’archipel des Malouines. Le document ne suffit pas pour autant pour conclure à une fraude, d’autant que les conditions dans lesquelles il nous a été communiqué nous obligent à une certaine retenue. Il a cependant l’avantage de montrer les gains très concrets qui peuvent accompagner la gestion de l’association.
-
[53]
Il ne nous a pas été possible de consulter le compte rendu de la réunion de l’association qui décida de la reconstruction du cimetière. La promesse de son porte-parole à ce sujet est restée sans suite jusqu’à présent. Nous nous en tenons donc à la version qu’il nous a transmise oralement.
-
[54]
Elle est, entre autres, accusée par la députée Alicia Castro (de la coalition de centre gauche Frente Amplio, puis présidente du syndicat des pilotes d’avion) d’être le principal agent du narcotrafic en Argentine, souvent considéré comme un pays de transit de la cocaïne produite au Pérou et en Bolivie. Alicia Castro formule ses accusations dans Le Monde diplomatique, edición Cono Sur, n°69, mars 2005, p. 4-5.
-
[55]
Eduardo Eurnekián possédait aussi à hauteur de 30 % la compagnie aérienne Southern Winds (SW), au cœur du scandale dit des « valises volantes » en 2005. Il s’agissait de bagages sans propriétaires enregistrés et remplis de cocaïne, transportées par les avions de la compagnie. Le scandale a éclaté lorsque plusieurs valises furent découvertes dans l’aéroport de Madrid. De nombreux cadres de SW sont en cours de jugement. Voir : http://www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3-91636-2007-09-19.html. Une fois encore, cette affaire ne concerne pas le propriétaire. Notre intention n’est pas de le mettre en cause, mais d’illustrer la particularité du « capitalisme débridé » qui s’est développé durant les années quatre-vingt-dix en Argentine.
-
[56]
Cuadernos del Instituto AFIP, n°11, p. 65.
-
[57]
L’organisation, qui ne revendique pas de filiation politique particulière, est taxée de gauchisme dans plusieurs sites internet de vétérans des Malouines. Cependant, cette qualification exprime probablement plus l’exaspération que suscitent certaines de ses actions ou le titre de son bulletin officiel, El Anti-Héroe (L’Antihéros), qu’une ligne politique partisane qu’il serait très malaisé d’établir du fait de la spécificité des revendications exprimées. Voir, par exemple, http://www.monografias.com/trabajos38/ex-combatientes-malvinas/ex-combatientes-malvinas2.shtml#cecim
-
[58]
Idem.
-
[59]
Article 7 des statuts, consultables sur http://www.cecim.org.ar/Institucion.asp?Seccion=2
-
[60]
Cité par F. Lorenz, Las Guerras por Malvinas, op. cit., p. 200.
-
[61]
Ibid., p. 214.
-
[62]
Ibid., p. 217.
-
[63]
Nous nous référons aux soulèvements des carapintadas évoqués plus haut.
-
[64]
Les dispositions légales sont rassemblées et téléchargeables ici : http://www.fundacionmalvinas.org.ar/index.php?option=com_content&view=article&id=69&Itemid=62&lang=es.
-
[65]
Nous avons rencontré deux fois le président actuel du CECIM, Eduardo Alonso. Plusieurs autres membres ont participé au second entretien réalisé dans les locaux de l’association.
-
[66]
La punition consistait à attacher au sol la personne les bras en croix pendant plusieurs heures sous les intempéries. Cette forme de torture est attachée à la guerre des Malouines, principalement pour avoir été dénoncée par le journaliste Edgardo Esteban dans un livre adapté au cinéma par Tristan Bauer en 2004. E. Esteban, Illuminados por el Fuego. Confesiones de un soldado que combatió en Malvinas, Buenos Aires, Ed. Sudamericana/Pagina 12, 2005 (1ère éd. 1993).
-
[67]
Le communiqué est téléchargeable sur ce site : http://www.puerta-de-hierro.com.ar/phmensual.htm.
-
[68]
Cette description est la nôtre, réalisée à partir d’une visite au Centre culturel de la Recoleta à Buenos Aires en avril 2007. L’exposition, intitulée Malvinas : islas de la memoria, était réalisée par Julio Cardoso, pour qui elle constituait « comme un dérivé de son documentaire Locos de la Bandera ». Voir : http://www.zonamilitar.com.ar/foros/threads/muestra-malvinas-isla-de-la-memoria.661/.
-
[69]
Vidéo institutionnelle de l’exposition.
-
[70]
Les îles reçoivent environs 40 000 touristes par an, avec des perspectives de croissance. Voir le documentaire du journaliste Jorge Lanata, Malvinas tan lejos, tan cerca. Falklands so far, so close, 2007, ou l’estimation de La Nación : http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=900835. Elles ne disposent que de très peu d’attractions proprement touristiques. Mais la multiplication des vols – auparavant, il n’y avait qu’un seul vol aller-retour hebdomadaire depuis l’Argentine –, afin que les touristes puissent rester peu de temps, a fait naître un nouveau marché pour les compagnies aériennes.
-
[71]
L’ensemble des griefs entre les deux pays, y compris les ajournements de l’inauguration du monument du cimetière, sont exposés par Jorge Taiana, alors à la tête de la Chancellerie argentine, dans un entretien au quotidien Página 12. Voir : http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-82650-2007-04-01.html.
-
[72]
La Nación, 29 mars 2009. Consultable ici : http://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1113187.
-
[73]
Entretien avec César Trejo.
-
[74]
Le journaliste décrit Marcelo Alvarado comme un proche de Seíneldin, dont il partagea la cellule durant plusieurs années de captivité après le soulèvement de 1990. L’article cherche surtout à dénoncer le rôle de l’Église dans la réhabilitation des militaires qui ont « agressé » la société civile, mais il montre en filigrane la présence de l’association Familiares dans ce même rôle. Voir : http://www.elargentino.com/nota-65601-El-carapintada-de-Bergoglio.html.
-
[75]
Entretien avec Eduardo Alonso, président du CECIM.
-
[76]
Il convient de bien distinguer la direction et, plus précisément, les postes clés de l’association, du reste de ses membres. Nous n’avons pas enquêté sur les opinions de ces derniers. Il est probable qu’une investigation plus profonde révèlerait des opinions diverses, mais nous n’avons pas eu accès aux actes des sessions de l’association.
-
[77]
Voir supra notes 38, 39 et 76. L’existence d’un lien entre Aldo Rico et Héctor Omar Cisneros, le président de Familiares et ancien agent civil du bataillon 601, est crédible, ou, plus exactement, entre Cisnesros et les commandos. Ces troupes d’élite développent un esprit de corps à un degré inconnu dans le reste des forces armées et ce n’est pas un hasard si elles sont surreprésentées parmi les carapintadas. Leur figure de référence doit être moins Aldo Rico que Seineldín, le premier étant plus « politique » et, du point de vue de nombre de carapintadas, plus « corrompu » de ce fait que le second. Outre un entretien filmé, consultable sur http://www.youtube.com/watch?v=TWAbc1WApH4, un journaliste nous a fourni une trame historique dessinée de la main de Seineildín, dans laquelle l’« âge d’or » est le « projet historique hispano-catholico-national », tandis que la « décadence » commence avec l’indépendance et s’accentue avec les régimes démocratiques. Autrement dit, il s’agit d’un des secteurs les plus réactionnaires du pays.
-
Le Mouvement Social
2011/4 (n° 237), pages 153 à 169
- Mis en ligne sur Cairn.info le 14/12/2011
- https://doi.org/10.3917/lms.237.0153
- Pour une version en anglais, c'est ici
Commentaires
Enregistrer un commentaire