La dette et le déshonneur

Tout en sauvant une vitrine de l'extrême-droite mondiale, Trump se fait le protecteur de Milei au prix d'un endettement massif de l'Argentine


La dette publique est immorale. Cela signifie que la frénésie des dépenses publiques est financée par des générations qui non seulement n’ont pas voté, mais ne sont même pas nées. Ainsi, la génération actuelle vole les revenus des générations futures. Par conséquent, un gouvernement qui s’endette ne peut jamais être libéral.

Javier Milei, 14 septembre 2019.

Ce message, la dette publique c’est mal, Javier Milei l’a dit de nombreuses fois, dans tous les formats possibles (télés, conférences, tweet, etc).

Il l’a dit, et répété, avant qu’il ne devienne président de l’Argentine. Depuis, il ne cesse de chercher de nouveaux prêts auprès d’institutions internationales ou de pays. En vingt-et-un mois à la Maison Rose (le palais présidentiel argentin), non seulement il n’a pas réduit la dette héritée des gouvernements antérieures, il l’a démultiplié.

Une dette extérieure qui explose

Ainsi, en avril, son gouvernement obtenait d’institutions internationales (FMI, Banque Mondiale et Banque Interaméricaine de Développement) des dizaines de milliards (42 milliards) que l’Argentine ne pourra jamais remboursé.

(Ce genre de dette n’a pas pour objectif d’être remboursé mais pour fonction d’enchaîner les pays, afin qu’ils n’aient aucune marge de manœuvre en cas de futurs gouvernements plus progressistes ou de gauche. Comme le disait si bien Javier Milei, la dette publique est immorale -et spécialement la dette auprès d’institutions qui exigent de diriger votre politique économique- puisque les générations futures devront payer pour les options du présent -nous reviendrons sur caractère “immoral”-).

A l’occasion, de ce prêt octroyé par le FMI, sa directrice, Kristalina Georgieva, a arboré une jolie tronçonneuse sur son veston. Elle ne pouvait mieux signifier son adhésion au projet de massacre (à la tronçonneuse) social, dont est porteur le gouvernement de Javier Milei. (Pour qui viendrait de Mars, la tronçonneuse est l’emblème de Milei depuis sa campagne électorale de 2023).

La sorpresa que Sturzenegger le dio a Georgieva en medio de un evento - LA  NACION


 

Cela dit bien, non seulement l’alignement de cette institution soi-disant internationale (ce qui supposerait qu’elle soit multilatérale) aux desiderata de la Maison Blanche, mais aussi son degré de radicalité. Nous savions la Maison Blanche de Trump pas moins d’extrême-droite que la Maison Rose de Milei, il convient de ne pas oublier les vénérables institutions financières parmi les ralliés aux vents bruns qui soufflent.

Une seule raison: les élections

Durant des décennies, ces institutions ont tâché de nous faire croire qu’elles agissaient en fonction de critères techniques dans le cadre d’un capitalisme (d’abord en lutte contre le communisme, puis triomphant). Aujourd’hui, elles ne cherchent plus à se cacher : elles sont des outils au service de l’idéologie dominante à la Maison Blanche. En l’occurrence, elles sont de puissants vecteurs de diffusion de l’extrême-droite.

En effet, le “soutien” (le prêt avec intérêt) à l’Argentine de Milei ne peut en aucun cas être lu comme une opération économique en lien avec un quelconque développement. La seule raison pour octroyer un prêt à l’Argentine sont les élections d’octobre (de mi-mandat qui doivent rénover la moitié du Parlement et un tiers du Sénat). L’ensemble des prêts à l’Argentine a pour seul but d’éviter une catastrophe électorale à Milei.

Pourquoi ? Parce qu’il a montré une fidélité à toute épreuve (y compris avant son élection) à Trump. Surtout, parce que Milei est devenu une vitrine de l’extrême-droite au niveau international. Il faut donc que la presse internationale puisse le présenter comme une “réussite”. (Enfin, et surtout pour les Argentins, en contre-partie l’Argentine sert tous les intérêts -privés et publics- des États-Unis, sans que nous connaissions encore le détail des ces concessions).

Plus de dette, moins d’infrastructures

Nous pourrions certes considérer cette augmentation de la dette extérieure publique argentine comme une fatalité ou, même, comme le seul moyen d’investir dans des infrastructures qui en ont bien besoin.

Alors, fatalité peut-être mais ce n’est ni propre à l’Argentine, ni nécessairement une catastrophe. Qu’un pays s’endette pour construire les infrastructures dont il a besoin n’a rien de choquant. Que ce soit en régime capitaliste ou un autre (à imaginer), s’endetter (c’est-à-dire prendre des biens du futur) afin de construire ce qui permet d’atteindre ce futur dans de meilleures conditions, est plutôt un bon mécanisme.

Bien au-delà de l’Argentine, nous pourrions dire que notre époque devrait être celle d’un endettement massif afin d’assurer des investissements gigantesques dans les infrastructures, notamment énergétiques, permettant d’atteindre le futur. Ne pas le faire, c’est très probablement n’avoir tout simplement pas de futur (ou un futur réservé à quelques bunkers de milliardaires qui pourront s’adonner pleinement à leur égolâtrie dans un monde ravagé). Bref, pour dire que la dette n’est pas en soi un mal.

L’endettement argentin est une catastrophe car il n’apporte pas la moindre investissement. Il s’agit de tonnes d’argent (de dizaine de milliards) qui servent uniquement à maintenir la monnaie à un prix jugé raisonnable (sans quoi, il est vrai, elle s’effondrerait avec des effets désastreux sur l’inflation).

Pire, si Milei a menti comme un arracheur de dent sur l’endettement, il a en revanche tenu ses promesses sur les coupes budgétaires à la tronçonneuse. Le désinvestissement est massif. Routes, hôpitaux, écoles, universités, recherche, nucléaire, aides sociales aux plus défavorisés (par les handicaps, notamment), tout, a été saccagé (à l’exception d’une aide aux plus pauvres -la Assignation Universel par Enfant- sans laquelle des millions de personnes n’auraient d’autre choix qu’investir les rues pour réclamer de quoi survivre). A part dans la police et l’armée, l'Etat s’est retiré de partout.

Même des travaux publics qui étaient sur le point d’aboutir lorsque Milei a été investi (en décembre 2023) ont été stoppé net. Ce sont donc d’importants investissements de l’Etat qui ont simplement été perdu (l’infrastructure n’étant pas terminé d’être construite, elle ne sert à rien et se détériore rapidement). Des milliards en fumé.

Une vitrine pour l’extrême-droite mondiale

C’est ça le fameux “déficit zéro” de Milei, applaudi par la presse européenne d’extrême-droite, de droite et économique. (Il paraît qu’il convient de distinguer ces trois catégories mais personne n’a réussi à m’expliquer pourquoi. Est-ce qu’il faut distinguer le discours de Darmanin de celui de Ciotti, et si oui sur quoi ? Celui de Ciotti de celui de Le Pen ? Ou est-ce que la défense des plus riches par Bardella se distingue de celle de Macron ? Grands mystères mais il semblerait qu’il existe une différence fondamentale entre Les Echos du trumpiste Bernard Arnault et CNews du lepéniste (canal historique, Jean-Marie) Bolloré et Le Figaro de la famille droitière Dassault.)

Ainsi, l’Argentine entre dans ce paradoxe d’une augmentation exponentielle de sa dette dans le même temps que ses infrastructures et son “capital humain” (comme l’appelle atrocement le gouvernement de Milei qui a un ministère du même nom) sont à l’abandon.


Nous ne connaissons pas encore le détail des concessions offertes par l’Argentine afin d’obtenir ces prêts permettant à Milei d’arriver aux élections du 26 octobre sans un écroulement de son programme économique (qui mènera donc un écroulement un peu plus tardif). Mais nous avons déjà pu observer que désormais le Secrétaire au Trésor des États-Unis décide de la politique fiscale argentine.

Trump soutient sans la moindre ambiguïté, à la fois politiquement et économiquement, le gouvernement de Milei. Mais ce soutien n’est pas gratuit. Il est à parier que nous découvrirons que la pays a été bradé à des entreprises et/ou l’armée étasuniennes.

En marque allégeance et de soumission, Javier Milei brandit un tweet de Donald Trump

Un tweet imprimé en guise de hochet pour la soumission d'un pays... 

Bref, Milei avait le choix entre la dette et le déshonneur. Il a choisi le déshonneur et les Argentins auront la dette. (C’est bien de finir sur une citation grandiloquente, ça fait Grandes Ecoles. C’est d’ailleurs un grand mystère que ce goût des petites phrases dans les “grandes écoles”, elles ne disent rien, ou tout et son contraire, et font confiture -de celle qu’on étale parce qu’on en manque comme la culture).

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La prison, lieu d’un savoir enfoui